L’industrie européenne, riche et variée, se heurte pourtant à un défi commun : la nécessité de solutions énergétiques durables, fiables et abordables. Après deux siècles de dépendance aux combustibles fossiles, l’Europe a entamé une transition vers des sources d’énergie plus propres, mais l’industrie continue d’être alimentée majoritairement par des hydrocarbures. Pour atteindre ses objectifs climatiques ambitieux, l’Union européenne doit accélérer l’adoption des technologies de stockage énergétique de longue durée, cruciales pour décarboner les secteurs les plus polluants.
Un objectif audacieux pour l’Europe
Le 6 février, la Commission européenne a recommandé une réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de 90 % d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 1990. Cette initiative vise à faire de l’industrie et de l’agriculture des piliers d’une économie européenne durable et compétitive. L’effort est de taille, mais les entreprises ne sont pas en reste : selon le rapport annuel de PWC, 75 % des dirigeants européens ont déjà entrepris des actions pour réduire leur empreinte carbone.
Les grands acteurs industriels ont mis en œuvre des mesures allant de l’amélioration de l’efficacité énergétique à l’adoption d’énergies renouvelables. Cependant, la nature intermittente de ces sources — éolienne et solaire — freine la décarbonation totale des processus industriels, intensifs en énergie et nécessitant une alimentation continue.
Le stockage d’énergie de longue durée : une solution indispensable
Les technologies de stockage d’énergie de longue durée (Long Duration Energy Storage, LDES) offrent une solution capable de combler les lacunes des énergies renouvelables intermittentes. En stockant l’énergie sur des périodes de plusieurs heures, jours, voire saisons, elles permettent une alimentation stable pour les industries. Ces technologies comprennent des solutions électrochimiques, mécaniques, thermiques et chimiques qui pourraient réduire les émissions industrielles de 65 % d’ici 2040.
Les experts estiment que le remplacement des combustibles fossiles par des énergies renouvelables couplées au LDES pourrait éliminer jusqu’à 8 milliards de tonnes de CO₂ dans le secteur industriel. Toutefois, pour que ces technologies se déploient à grande échelle, un cadre réglementaire favorable est indispensable afin d’assurer leur viabilité économique et de stimuler leur adoption par les entreprises.
Les solutions électrochimiques au cœur du stockage de longue durée
Les solutions de stockage électrochimique, comme les batteries, sont parmi les plus connues dans le domaine du LDES. Les batteries à flux, par exemple, sont particulièrement adaptées pour le stockage de longue durée grâce à leur capacité à ajuster indépendamment la puissance et l’énergie stockée. En Europe, les entreprises spécialisées dans ces technologies les exploitent déjà pour des centres de données et des applications de secours énergétique.
Les centres de données, qui représentent actuellement 1,5 % de la consommation électrique européenne, devraient atteindre 3,2 % d’ici 2030. Le couplage de l’énergie solaire et éolienne avec le LDES garantit une alimentation propre et continue pour ces grands consommateurs d’énergie.
Exemples d’applications industrielles prometteuses
Un atout pour les opérations minières et les industries hors réseau
Outre les centres de données, le LDES peut également répondre aux besoins de l’exploitation minière et des industries isolées, comme celles des produits chimiques. Ces secteurs bénéficient particulièrement des solutions mécaniques et thermiques qui permettent de stocker l’énergie sous forme potentielle, cinétique ou thermique. En Europe, près de 50 mines devraient voir le jour d’ici 2030 pour fournir les minéraux nécessaires à la transition énergétique. Ces nouvelles exploitations minières risquent d’entraîner une hausse des émissions de gaz à effet de serre si elles ne sont pas alimentées par des énergies renouvelables et soutenues par le LDES.
Des études de cas montrent l’efficacité de cette solution : une mine en Australie a pu réduire ses dépenses d’exploitation de 76 % en passant aux énergies renouvelables et au LDES, tout en éliminant intégralement ses émissions de CO₂, avec une économie de 609 € par tonne de CO₂ évitée.
Le potentiel pour les industries chimiques et agroalimentaires
Les industries chimiques et agroalimentaires, deux secteurs majeurs en termes d’émissions, peuvent également profiter du LDES pour se décarboner. En Californie, un fabricant de chips a éliminé ses émissions directes grâce à un système de stockage thermique de 24 heures associé à une chaudière électrique. De même, en Allemagne, une usine chimique a réduit de moitié le coût de son électrification en combinant une chaudière électrique avec le LDES, remplaçant ainsi les combustibles fossiles.
Les opportunités futures pour le LDES
Au-delà des applications actuelles, le LDES ouvre des perspectives vastes pour décarboner les processus industriels. En Europe, près de 47 % de la demande de chaleur industrielle concerne des températures inférieures à 500°C, une plage qui peut être électrifiée. Les solutions thermiques de LDES, alliées aux chaudières électriques et aux pompes à chaleur, permettent déjà de répondre à des besoins de chaleur modérée (100 à 500°C) et pourraient transformer l’industrie d’ici quinze ans.
Les défis pour l’industrie de l’acier et du ciment
L’acier et le ciment, piliers de la civilisation moderne, posent un défi particulier à la décarbonation en raison de leurs processus à haute température dépassant souvent 1000°C. Les technologies de LDES actuelles contribuent à réduire leurs émissions par des techniques comme la récupération de chaleur perdue, mais leur potentiel complet se révélera dans les dix prochaines années, avec la baisse des coûts et l’amélioration des solutions d’intégration. Les chercheurs et ingénieurs travaillent activement pour que le LDES permette un jour l’électrification complète des fours à ciment.
Le besoin d’une politique volontariste pour accélérer l’adoption
La transition vers le LDES nécessite des réformes politiques ambitieuses. Pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de 90 % d’ici 2040, les décideurs européens doivent intégrer des signaux de marché à long terme, des mécanismes de revenus solides et un soutien dédié aux technologies. Une politique incitative pourrait épargner à l’Europe jusqu’à 493,6 milliards d’euros par an grâce au LDES.
Le LDES n’est plus seulement une option mais une nécessité pour décarboner l’industrie européenne. Cette technologie apporte une réponse concrète à la question de la transition vers des industries alimentées par des énergies renouvelables. Il est impératif que les industriels et les politiques avancent ensemble pour concrétiser cette vision d’une Europe durable et prospère.