L’agrivoltaïsme, ou agri-PV, représente une opportunité majeure pour la transition énergétique et agricole en Europe centrale, selon le think tank Ember qui publie un rapport sur le sujet. En exploitant conjointement les surfaces agricoles pour la production d’aliments et d’électricité, ce modèle pourrait permettre à la région de tripler sa production d’électricité renouvelable actuelle, tout en assurant la sécurité alimentaire et en augmentant les revenus des agriculteurs. Cependant, malgré des perspectives prometteuses, des obstacles réglementaires freinent encore son développement, notamment en Pologne, en Hongrie et en Slovaquie, alors que la Tchéquie a déjà adopté une législation spécifique sur le sujet.
Qu’est-ce que l’agrivoltaïsme ?
L’agrivoltaïsme consiste à associer sur une même parcelle agricole la production de cultures et la production d’électricité à partir de panneaux solaires. Les installations peuvent prendre différentes formes, notamment des panneaux surélevés au-dessus des cultures ou des panneaux verticaux installés entre les rangées de céréales. Cette configuration permet de conserver l’usage agricole du sol tout en générant de l’énergie renouvelable.
Un potentiel immense pour l’Europe centrale
180 GW de capacité solaire possible
Selon le think-tank Ember, la Pologne, la Tchéquie, la Hongrie et la Slovaquie pourraient installer jusqu’à 180 GW de panneaux solaires via l’agrivoltaïsme. Ce potentiel est trois fois supérieur aux objectifs climatiques actuels de ces pays pour 2030 (60 GW) et sept fois plus élevé que la capacité solaire installée à la fin de 2023 (25 GW).
191 TWh d’électricité par an
En exploitant pleinement ce potentiel, l’agrivoltaïsme en Europe centrale pourrait produire 191 TWh d’électricité par an, soit 68 % de la consommation électrique actuelle de ces quatre pays. Ce chiffre est presque trois fois supérieur à la production combinée d’électricité renouvelable de la région, qui s’élève aujourd’hui à 73 TWh par an.
9 % du potentiel suffisant pour couvrir les besoins de l’agriculture
Il suffirait d’exploiter 9 % du potentiel d’agrivoltaïsme de la région pour couvrir la totalité des besoins en électricité de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Cela permettrait de réduire la dépendance aux énergies fossiles et de stabiliser les coûts de production alimentaire, notamment face à la volatilité des prix des engrais, souvent liés au gaz naturel.
Des bénéfices multiples pour les agriculteurs
Des rendements agricoles améliorés
Contrairement aux idées reçues, l’agrivoltaïsme peut même augmenter les rendements agricoles pour certaines cultures. Les baies et les fruits cultivés sous des panneaux solaires surélevés peuvent voir leurs rendements augmenter de 16 % grâce à une meilleure rétention d’eau et à une protection contre les intempéries (grêle, vents violents, etc.). Les cultures plus sensibles à l’ombre, comme le blé, subissent une baisse de rendement limitée (moins de 20 %), largement compensée par les revenus générés par la vente d’électricité.
Des revenus accrus pour les agriculteurs
Un exemple en Pologne montre qu’un hectare d’agrivoltaïsme produisant du blé et de l’électricité peut générer un bénéfice net annuel de 1 268 € par hectare, contre des pertes estimées à 97 €/ha pour une production de blé seule en 2024. Les revenus combinés issus de la production de blé et d’électricité peuvent être 12 fois supérieurs à ceux obtenus uniquement avec la culture du blé.
Une meilleure résilience climatique
Les panneaux solaires modifient le microclimat sous leur surface, offrant une protection contre les excès de chaleur et la grêle, tout en favorisant une meilleure gestion de l’eau. En période de sécheresse, cette protection peut stabiliser les rendements agricoles, limitant les impacts des conditions climatiques extrêmes.
Des freins réglementaires à lever
Un cadre juridique manquant dans plusieurs pays
Si l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas disposent déjà de législations favorables à l’agrivoltaïsme, ce n’est pas encore le cas pour la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie. En revanche, la Tchéquie a récemment adopté une réglementation facilitant le déploiement de l’agrivoltaïsme, sans obligation de déclasser les terres agricoles du cadastre, ce qui constitue un précédent important dans la région.
Des exemples à suivre
En Allemagne, les projets d’agrivoltaïsme bénéficient d’un soutien économique à travers des tarifs garantis d’achat d’électricité et un « bonus technologie » prévu par la loi sur les énergies renouvelables (EEG). Ce type de dispositif pourrait inspirer d’autres pays d’Europe centrale.
Des mesures à adopter
Pour permettre le déploiement massif de l’agrivoltaïsme, les pays d’Europe centrale doivent :
- Adopter une définition harmonisée de l’agrivoltaïsme pour garantir que les terres agricoles restent éligibles aux subventions de la Politique agricole commune (PAC).
- Introduire des cadres réglementaires clairs permettant l’installation de panneaux solaires au-dessus ou entre les cultures, tout en préservant l’usage agricole des terres.
- Mettre en place des incitations financières (subventions d’investissement et accès au réseau électrique) pour encourager les agriculteurs à adopter ces technologies.
- Favoriser la recherche et le développement (R&D) pour optimiser l’agencement des panneaux solaires, le type de cultures à privilégier et les impacts sur la biodiversité.
Un modèle gagnant-gagnant pour l’énergie et l’agriculture
L’agrivoltaïsme incarne une synergie vertueuse entre production alimentaire et énergétique. Il offre aux agriculteurs la possibilité de stabiliser leurs revenus, de mieux résister aux aléas climatiques et de contribuer à la transition énergétique. En Europe centrale, l’agrivoltaïsme pourrait couvrir jusqu’à 68 % de la consommation électrique actuelle tout en préservant la production alimentaire.
Pour concrétiser ce potentiel, il est urgent d’harmoniser les cadres législatifs au sein de l’Union européenne, d’introduire des incitations financières et de soutenir les agriculteurs dans la transition. L’agrivoltaïsme pourrait ainsi devenir un pilier majeur de la double transition énergétique et alimentaire en Europe centrale.