L’expansion nucléaire mondiale prévue d’ici 2050 met en lumière les défis majeurs du transport des matières radioactives. Lors de la conférence World Nuclear Fuel Cycle 2025, les experts ont alerté sur les contraintes logistiques, réglementaires et économiques qui pourraient entraver cette croissance. Le transport nucléaire, maillon essentiel mais vulnérable de la chaîne d’approvisionnement, nécessite des solutions adaptées pour soutenir l’ambition de tripler la capacité nucléaire mondiale.
À retenir
- Le triplement prévu de la capacité nucléaire mondiale d’ici 2050 révèle l’insuffisance des infrastructures de transport actuelles
- Les défis incluent le nombre limité de ports acceptant les matières radioactives et les obstacles réglementaires comme la potentielle taxe américaine de 1,5 million de dollars par escale
- L’émergence des petits réacteurs modulaires (SMR) nécessite des solutions de transport adaptées à leurs combustibles hautement enrichis (HALEU)
- La gestion du transport du combustible usé représente un défi majeur, particulièrement aux États-Unis
Les limites actuelles du transport nucléaire face à une demande croissante
Le secteur du transport nucléaire fait face à un déséquilibre grandissant entre demande et capacités disponibles. Eileen Supko, présidente d’Energy Resources International et représentante du World Nuclear Transport Institute, a souligné lors de la conférence de Montréal que « le transport a toujours été confronté à un nombre limité de ports et de transporteurs disposés à accepter les matières radioactives de classe 7 ».
Une capacité maritime insuffisante
George Kargopolov, directeur du transport chez CIS Navigation, opérateur d’une flotte de six navires spécialisés dans le transport de matières radioactives, confirme cette problématique : « L’industrie est en expansion, mais la capacité de transport maritime ne l’est pas ». Sa société, qui transporte des matières radioactives depuis près de trois décennies, observe plusieurs obstacles majeurs :
- Les préoccupations liées à la responsabilité nucléaire
- Les limitations d’arrimage
- Les problèmes d’acceptation portuaire
- Les défis politiques et réglementaires
Aux États-Unis particulièrement, peu de ports sont équipés et disposés à manutentionner des matières nucléaires, créant un goulot d’étranglement logistique.
La menace des nouvelles taxes américaines
Les propositions américaines de taxation représentent un défi économique majeur. Le projet USTR Section 301 prévoit des taxes sur les navires construits ou liés à la Chine pour chaque escale aux États-Unis. Selon Kargopolov, une taxe forfaitaire de 1,5 million de dollars par escale affecterait considérablement les transporteurs spécialisés dans les matières nucléaires, qui opèrent sur un marché de niche aux marges limitées.

Les défis réglementaires et de sécurité du transport nucléaire
La réglementation du transport de substances radioactives constitue un cadre complexe établi à plusieurs niveaux. Les recommandations de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), bien que non juridiquement contraignantes, servent de fondement aux réglementations spécifiques à chaque mode de transport.
Un cadre réglementaire multiniveau
En France, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) contrôle l’application de cette réglementation pour les usages civils, avec l’expertise technique de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). La Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU) élabore les réglementations « modales » pour les transports terrestres, tandis que d’autres organismes internationaux encadrent les transports maritimes et aériens.
Les nouveaux défis liés aux réacteurs innovants
L’émergence des petits réacteurs modulaires (SMR) et des réacteurs modulaires avancés (AMR) pose de nouveaux défis techniques. Ces technologies utilisent des combustibles à plus haut niveau d’enrichissement en uranium (HALEU), nécessitant des solutions de transport spécifiques et soulevant des considérations de sécurité accrues, notamment contre les risques de prolifération.
Les retards et refus d’expédition de matières nucléaires et radioactives ont des conséquences importantes, y compris pour les applications médicales et industrielles qui dépendent de ces transports.
L’impact des tensions géopolitiques sur la chaîne d’approvisionnement nucléaire
Le marché du combustible nucléaire, traditionnellement globalisé, connaît des évolutions significatives sous l’effet des tensions internationales. Cette situation pousse de nombreux pays et opérateurs à diversifier leurs sources d’approvisionnement.
La sécurisation des approvisionnements
Tim Gitzel, PDG de Cameco, a rappelé lors de la conférence que « tout commence par le cycle du combustible. Sans uranium, il n’y a pas de nucléaire ». Cette observation souligne l’importance cruciale de sécuriser la chaîne d’approvisionnement pour soutenir l’expansion nucléaire mondiale.
L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) prévoit que la production mondiale d’énergie nucléaire atteindra un niveau record en 2025, ce qui accentue la pression sur la chaîne logistique.

Les besoins d’investissement et de main-d’œuvre
Si les ressources en uranium sont considérées comme suffisantes pour soutenir la croissance, des investissements majeurs sont nécessaires dans la prospection et l’exploitation minière. Les dépenses mondiales dans ce secteur ont récemment augmenté après une période de déclin prolongé.
Le secteur fait également face à un besoin croissant de main-d’œuvre qualifiée. En France, EDF prévoit des recrutements massifs d’ici 2030 pour répondre aux besoins de ses projets. Les métiers du nucléaire, notamment dans la logistique, exigent des compétences techniques pointues et une formation rigoureuse en matière de sécurité.
La gestion du combustible usé : un défi critique pour l’expansion nucléaire
La conférence a mis en lumière un point particulièrement sensible : la gestion du combustible usé. Cette question est considérée comme potentiellement problématique pour les plans d’expansion nucléaire mondiale.
L’enjeu du transport du combustible usé
Aux États-Unis, toute solution de gestion du combustible usé, qu’il s’agisse de stockage provisoire ou de dépôt définitif, nécessitera le transport de centaines de milliers de tonnes de matières hautement radioactives. Cette logistique représente un défi technique, réglementaire et d’acceptabilité publique considérable.
Les initiatives pour surmonter les obstacles
Face à ces défis, plusieurs initiatives émergent. L’Italie a par exemple mis en place un comité national pour résoudre les problèmes liés au refus de transport ou d’acceptation des expéditions de matières radioactives.
La World Nuclear Association organise également la conférence « World Nuclear Supply Chain 2025 » les 20 et 21 mai 2025 à Varsovie, en Pologne, pour renforcer et adapter la chaîne d’approvisionnement mondiale aux enjeux actuels et futurs.
L’objectif partagé par de nombreux gouvernements, entreprises et institutions financières reste de tripler la capacité d’énergie nucléaire d’ici 2050, motivé par les impératifs de sécurité énergétique et de réduction des émissions de CO2. La résolution des défis logistiques sera déterminante pour atteindre cette ambition.









