La tendance croissante des entreprises technologiques à connecter directement leurs centres de données aux centrales nucléaires suscite à la fois enthousiasme et inquiétudes. Les géants de la tech, désireux d’obtenir une énergie propre et disponible 24/7, voient dans le nucléaire une solution aux besoins énergétiques de leurs centres de données en pleine expansion, notamment face aux engorgements des réseaux de transmission. Cependant, les défenseurs du climat et les régulateurs examinent de près les potentiels inconvénients, notamment les impacts sur les coûts des consommateurs, la fiabilité du réseau et les objectifs de réduction des émissions.
La quête des centres de données alimentés par le nucléaire
Sur la côte Est des États-Unis, des centrales nucléaires négocient avec des géants de la tech pour offrir un accès direct à l’énergie nucléaire sans carbone. Ces accords de « colocation », dans lesquels les centres de données sont construits près des centrales pour y puiser directement leur énergie, promettent des avantages pour les deux parties : des revenus stables pour les centrales nucléaires et une énergie propre et fiable pour les centres de données. Le premier accord de ce type a été signé début 2024, lorsque Amazon Web Services a investi 650 millions de dollars pour acquérir un centre de données relié à la centrale nucléaire Susquehanna de Talen Energy. D’autres acteurs de la tech, dont Google, Microsoft et Meta, explorent des partenariats similaires pour contourner les limitations du réseau et accélérer leurs projets.
Inquiétudes concernant les coûts, les émissions et la fiabilité
Les critiques soulignent que détourner l’énergie nucléaire existante du réseau pourrait entraîner des coûts accrus pour les autres consommateurs, nuire à la stabilité du réseau et potentiellement augmenter les émissions. Les centrales nucléaires, comme celles de Pennsylvanie et du New Jersey, jouent un rôle crucial dans l’approvisionnement en énergie propre du réseau public. Détourner cette énergie vers des centres de données privés pourrait nécessiter le recours à des centrales à combustibles fossiles pour combler le déficit, annulant ainsi les gains en matière d’émissions.
De plus, certains analystes craignent que le lien direct avec les centrales nucléaires ne conduise à des charges de coûts inégales, notamment si les infrastructures nécessaires transfèrent une partie des dépenses vers d’autres usagers. Pour faire face à ces préoccupations, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) a pris des mesures pour évaluer les répercussions potentielles de la colocation, notamment en examinant le projet Susquehanna-Talen d’Amazon.
Le plaidoyer pour une source directe d’énergie nucléaire
Les défenseurs de la colocation nucléaire soulignent les goulots d’étranglement auxquels fait face l’énergie propre dans les réseaux de transmission, qui peuvent retarder les projets de centres de données dépendant uniquement du solaire, de l’éolien et du stockage. Grâce aux centrales nucléaires, les entreprises de la tech peuvent contourner ces limitations et garantir une énergie sans carbone en continu, essentielle pour répondre aux exigences actuelles des centres de données. Les leaders du secteur de l’énergie propre d’entreprise affirment que, même si cela ne permet pas d’ajouter de nouvelles sources d’énergie propre, la colocation nucléaire offre une solution zéro émission immédiatement disponible, car les alternatives telles que le solaire et l’éolien sont contraintes par la capacité du réseau et les limites du stockage.
Les entreprises technologiques, en particulier Amazon, insistent sur le fait que leurs accords nucléaires font partie d’un portefeuille énergétique propre plus large incluant des investissements massifs dans les énergies renouvelables. Les efforts d’Amazon, qui englobent 33,6 gigawatts d’énergie renouvelable, démontrent son engagement envers des solutions bas carbone, dont la colocation nucléaire est un volet pratique.
Implications pour l’industrie et les régulateurs
À mesure que la demande de centres de données augmente, la tendance à la colocation nucléaire pourrait influencer à la fois le marché de l’énergie et les cadres réglementaires. Les experts du secteur appellent à la prudence, soulignant que les partenariats entre centres de données et centrales nucléaires ne doivent pas se faire au détriment des consommateurs ni des objectifs d’énergie propre. En réponse, la FERC a annoncé son intention de tenir une conférence technique pour examiner les implications de la colocation de grandes installations sur les sites de production, établissant ainsi un précédent pour la gestion de ces nouveaux partenariats énergétiques.
Pour l’instant, la question reste ouverte : la colocation nucléaire peut-elle fournir une solution énergétique propre, évolutive et rentable pour les entreprises technologiques sans compromettre le réseau, augmenter les coûts ou accroître les émissions ? Les discussions à venir de la FERC joueront probablement un rôle déterminant dans l’avenir de ces partenariats énergétiques novateurs.