Alors que la demande énergétique mondiale croît et que les objectifs climatiques imposent une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, une tendance inattendue émerge : la réouverture de centrales nucléaires précédemment mises à l’arrêt. Partout dans le monde, des projets visant à relancer ces infrastructures prennent forme, portés par des incitations économiques, des impératifs climatiques et des besoins croissants en énergie décarbonée. Cette démarche suscite toutefois des débats, à la croisée de la faisabilité technique et des enjeux sociaux et environnementaux.
Le retour des centrales nucléaires : une tendance mondiale
Aux États-Unis, la centrale de Palisades, située dans le Michigan, est devenue emblématique de cette dynamique. Fermée en 2022 après 50 ans de service, elle est sur le point d’être relancée grâce à un prêt fédéral de 1,5 milliard de dollars. De même, en Pennsylvanie, Microsoft a annoncé un projet ambitieux pour réactiver une unité de la centrale de Three Mile Island afin d’alimenter ses datacenters en énergie bas-carbone.
En Europe, l’Allemagne, après avoir progressivement fermé ses réacteurs nucléaires, envisage désormais de redémarrer certaines unités. Le réacteur Isar 2, par exemple, figure parmi les candidats les plus probables, soutenu par des réserves de combustible disponibles et une main-d’œuvre encore mobilisable. Ces discussions interviennent alors que les tensions énergétiques liées à la crise en Ukraine et aux objectifs de décarbonation accentuent les besoins en électricité stable et propre.
Au Japon, la catastrophe de Fukushima en 2011 avait entraîné l’arrêt de la quasi-totalité du parc nucléaire. Cependant, sous la pression des enjeux climatiques et de la sécurité d’approvisionnement, le pays a réactivé 12 réacteurs et prévoit de prolonger la durée de vie des installations au-delà de 60 ans. Le gouvernement ambitionne également de construire de nouvelles unités pour atteindre ses objectifs énergétiques.
Les défis techniques et réglementaires
Réactiver une centrale nucléaire implique de relever des défis considérables. D’un point de vue technique, ces infrastructures nécessitent des mises à jour pour répondre aux normes modernes de sécurité et d’efficacité. Les composants critiques, tels que les générateurs de vapeur et les systèmes de refroidissement, doivent souvent être remplacés ou rénovés, ce qui peut entraîner des coûts substantiels. En Californie, les problèmes liés à l’usure des générateurs de vapeur avaient conduit à la fermeture définitive de San Onofre en 2013, soulignant les risques liés à une maintenance différée.
D’un point de vue réglementaire, peu de cadres juridiques sont spécifiquement conçus pour gérer la réactivation de centrales désaffectées. Les organismes de régulation, tels que la Commission de réglementation nucléaire (NRC) aux États-Unis, doivent développer des processus rigoureux pour évaluer la sécurité et la fiabilité des sites avant leur remise en service. Cette absence de précédent rend chaque projet de réouverture unique et potentiellement complexe.
Un levier pour la transition énergétique
Malgré ces défis, le redémarrage des centrales nucléaires offre des opportunités significatives. Contrairement aux énergies renouvelables intermittentes comme l’éolien et le solaire, le nucléaire fournit une électricité stable et décarbonée, essentielle pour les réseaux électriques modernes. En Finlande, par exemple, l’ajout récent du réacteur Olkiluoto 3 et la prolongation de la durée de vie des unités existantes illustrent comment le nucléaire peut jouer un rôle clé dans la réduction des émissions de carbone tout en garantissant une fiabilité énergétique.
Un soutien croissant des gouvernements
Les politiques publiques s’alignent de plus en plus sur ces besoins. Aux États-Unis, des programmes comme l’Inflation Reduction Act offrent des crédits d’impôt à la production pour soutenir le parc nucléaire existant et encourager les réouvertures. De même, en France, le gouvernement prévoit de réactiver des réacteurs fermés tout en investissant dans de nouveaux réacteurs pour atteindre ses objectifs climatiques à long terme.
Entre pragmatisme et controverses
Le retour des centrales nucléaires n’est pas sans controverse. Les groupes antinucléaires soulignent les risques associés à la réactivation d’installations vieillissantes, notamment en matière de sécurité et de gestion des déchets. De plus, les coûts élevés de remise en service soulèvent des questions sur leur compétitivité par rapport aux alternatives renouvelables.
Pourtant, cette approche reflète une réalité pragmatique : dans un contexte d’urgence climatique et de tensions énergétiques, les solutions rapides et fiables sont nécessaires. La réactivation de centrales pourrait ainsi constituer une étape intermédiaire, offrant le temps nécessaire pour développer des technologies plus avancées et étendre les capacités des énergies renouvelables.
Une perspective globale pour l’énergie nucléaire
Alors que plus de 20 nations, dont les États-Unis, ont signé un engagement pour tripler les capacités nucléaires d’ici 2050, cette tendance mondiale souligne l’importance du nucléaire dans la transition énergétique. Si cette technologie fait face à des défis historiques, elle représente également une opportunité unique d’assurer une électricité propre et stable tout en soutenant les économies locales.
À l’échelle mondiale, le redémarrage des centrales fermées pourrait donc marquer un nouveau chapitre pour l’industrie nucléaire, combinant héritage technologique et modernisation pour répondre aux besoins du 21ᵉ siècle.