Renouvelables : Pourquoi les prix négatifs menacent l’équilibre du marché énergétique européen

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Le 1er janvier 2025, les prix de l’électricité en Allemagne ont été négatifs pendant plus de 14 heures, mettant en évidence les déséquilibres structurels d’un marché énergétique en pleine transition. Ce phénomène, de plus en plus courant en Europe, reflète une surcapacité de production renouvelable face à des infrastructures de stockage insuffisantes. Avec une multiplication par deux de la capacité solaire et éolienne dans l’Union européenne en cinq ans, la gestion des excédents d’électricité devient un enjeu majeur pour éviter que cette dynamique ne freine la transition énergétique.

Les prix négatifs : un problème croissant

En 2024, les prix négatifs ont été enregistrés pendant 7 841 heures dans les marchés européens, contre 6 428 heures en 2023, soit une augmentation de 22 %. Ce phénomène, qui oblige les producteurs à payer pour écouler leur électricité excédentaire, est particulièrement marqué en Allemagne avec 468 heures de prix négatifs (+60 % en un an). En France, ces heures ont doublé pour atteindre 356, et l’Espagne, pour la première fois, a enregistré 247 heures. Globalement, l’Europe a connu des prix négatifs dans au moins une zone de marché pendant 17 % de l’année.

À midi, le 1er janvier 2025, la production d’électricité renouvelable en Allemagne représentait 125 % de la consommation nationale. Cet excédent s’explique par une production éolienne et solaire importante (40 GW de vent générés à ce moment), couplée à une demande historiquement faible en raison des jours fériés et des températures modérées. Malgré cela, certaines centrales fossiles, peu flexibles, ont continué à fonctionner, aggravant l’excès d’offre.

Pourquoi les prix négatifs sont préoccupants

Bien qu’ils puissent sembler avantageux pour les consommateurs, les prix négatifs sont un mauvais signe pour la stabilité et la rentabilité du marché énergétique. Voici leurs impacts :

  • Perte de rentabilité pour les producteurs : Les centrales éoliennes et solaires, bien qu’indispensables pour la transition énergétique, subissent des pertes lorsque l’électricité doit être vendue à prix négatif. En 2024, ce phénomène a touché l’ensemble des grands marchés européens, notamment en Allemagne et en France.
  • Un frein aux investissements : La volatilité des prix, exacerbée par ces périodes négatives, réduit l’attractivité des projets renouvelables pour les investisseurs. Cela pourrait compromettre l’objectif de 42,5 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale européenne d’ici 2030.
  • Une instabilité du réseau : Les excédents d’électricité provoquent des tensions sur les réseaux électriques, augmentant le risque de pannes et nécessitant des interventions coûteuses pour maintenir l’équilibre entre production et consommation.

Les limites des capacités de stockage

L’Union européenne a vu ses capacités renouvelables exploser : entre 2019 et 2023, la capacité solaire a augmenté de 113 % pour atteindre 257 GW, et la capacité éolienne a progressé de 31 %, atteignant 219 GW. Mais cette croissance rapide n’a pas été accompagnée par le développement parallèle des infrastructures de stockage.

Selon les estimations, l’Union aura besoin d’environ 200 GW de capacités de stockage d’ici 2030 pour gérer efficacement les excédents d’électricité. À titre de comparaison, en 2023, le total cumulé des capacités de stockage disponibles, incluant les batteries et le pompage-turbinage (STEP), était encore largement insuffisant pour absorber ces volumes.

Au niveau mondial, la COP 29 de Bakou a fixé un objectif de 1 500 GW de capacités de stockage d’ici 2030. Cela nécessitera des investissements massifs, mais en Europe, seulement une fraction des 110 milliards d’euros investis dans les énergies renouvelables en 2023 a été allouée au stockage.

Des infrastructures à moderniser

Outre le stockage, le renforcement des interconnexions entre pays européens est crucial pour répartir les excédents de production. En Espagne, où 247 heures de prix négatifs ont été enregistrées en 2024, les exportations vers la France ont été limitées par des capacités transfrontalières insuffisantes. Une meilleure interconnexion permettrait de réduire les périodes de saturation locale, tout en rendant le système européen plus résilient.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Europe devra augmenter de 30 % ses investissements dans les infrastructures de transport et de distribution d’électricité d’ici 2030, soit environ 70 milliards d’euros supplémentaires par an. Ces fonds permettront de moderniser les réseaux et d’améliorer la flexibilité nécessaire pour intégrer davantage de renouvelables.

Un avenir à équilibrer

Les prix négatifs révèlent les tensions entre le développement rapide des énergies renouvelables et les limites des infrastructures actuelles. Si ces déséquilibres ne sont pas corrigés, ils pourraient freiner l’intégration de nouvelles capacités renouvelables et compromettre les objectifs climatiques. Avec un effort financier de 113 milliards d’euros nécessaire pour moderniser les réseaux et développer le stockage, l’Europe a encore un long chemin à parcourir.

En surmontant ces défis grâce à des investissements stratégiques, l’Europe pourra transformer ces paradoxes en opportunités, en construisant un système énergétique durable, compétitif et équilibré pour l’avenir.