Marché solaire européen : la surproduction fait plonger les revenus

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Energie solaire européenne: le paradoxe des prix qui fragilise la filière
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En Europe, la croissance fulgurante de l’énergie solaire photovoltaïque crée un phénomène économique inattendu appelé « cannibalisation ». Cette situation se traduit par une baisse des prix de gros de l’électricité pendant les heures de forte production solaire, réduisant la rentabilité des installations existantes et futures. Le phénomène s’étend désormais au-delà des frontières nationales, affectant les marchés énergétiques de tout le continent.

La cannibalisation solaire : un paradoxe de l’abondance

Qu’est-ce que la cannibalisation solaire ?

La cannibalisation solaire désigne le phénomène où une augmentation de la production photovoltaïque entraîne une baisse des prix de l’électricité sur les marchés de gros, précisément aux heures où cette électricité est produite. Cette situation réduit mécaniquement les revenus des producteurs d’énergie solaire.

Ce phénomène s’explique par le fonctionnement des marchés de l’électricité : lorsque de nombreuses installations solaires produisent simultanément (typiquement en milieu de journée), l’offre abondante fait chuter les prix. Conséquence directe : chaque nouveau mégawatt installé contribue à réduire la rentabilité de l’ensemble du parc photovoltaïque.

Une croissance solaire sans précédent

L’Europe connaît actuellement une expansion massive de sa capacité solaire. Selon Ember, le continent a ajouté 66 GW de capacité photovoltaïque en 2023, poursuivant sur la lancée de 2022 qui avait déjà établi un record avec 41 GW. Cette croissance exponentielle, bien que positive pour la transition énergétique, intensifie le phénomène de cannibalisation.

L’Allemagne mène ce mouvement avec plus de 14 GW installés en 2023, suivie par l’Espagne, l’Italie et la France. Cette croissance rapide reflète la baisse des coûts technologiques et les politiques incitatives, mais crée également des défis économiques inédits pour le secteur.

Impacts sur les marchés européens de l’électricité

Baisse générale des prix de gros

Les prix de l’électricité sur les marchés de gros européens ont connu une baisse significative en 2023 par rapport aux sommets atteints en 2022. Si cette diminution est en partie due à la baisse des prix du gaz, l’augmentation de la production solaire y contribue également de façon structurelle.

Selon S&P Global, les prix moyens pondérés ont baissé dans toute l’Europe, mais restent supérieurs aux niveaux d’avant la guerre en Ukraine. Cette tendance baissière affecte particulièrement les heures d’ensoleillement maximum, créant un écart grandissant entre les prix diurnes et nocturnes.

Multiplication des heures à prix négatifs

Un indicateur frappant de cette cannibalisation est l’augmentation des périodes où les prix de l’électricité deviennent négatifs. L’Allemagne, championne européenne du solaire, a connu 591 heures de prix négatifs en 2023, suivie par les Pays-Bas avec 127 heures. Durant ces périodes, les producteurs doivent effectivement payer pour injecter leur électricité dans le réseau.

Ce phénomène s’observe principalement lors des journées ensoleillées de printemps et d’été, lorsque la production solaire est maximale mais que la demande reste modérée. Par exemple, le 10 avril 2023, les prix sont devenus négatifs dans huit pays européens simultanément.

Energie solaire européenne: le paradoxe des prix qui fragilise la filière

Le phénomène de cannibalisation transfrontalière

Des taux de captation révélateurs

Pour mesurer la cannibalisation, les analystes utilisent le concept de « taux de captation » – le rapport entre le prix moyen obtenu par les producteurs solaires et le prix moyen du marché. Plus ce taux est bas, plus l’effet de cannibalisation est important.

L’analyse de S&P Global révèle que l’Allemagne présente le taux de captation le plus faible d’Europe à 59%, signifiant que les producteurs solaires allemands ne reçoivent en moyenne que 59% du prix moyen du marché. À l’autre extrémité du spectre, le Royaume-Uni (90%), l’Italie (86-89%) et la Finlande (86%) affichent des taux nettement plus élevés.

L’exportation de la cannibalisation

L’aspect le plus inédit de ce phénomène est sa dimension transfrontalière. Les pays à forte production solaire, comme l’Allemagne, exportent leur surplus d’électricité vers les pays voisins pendant les heures de forte production, entraînant une baisse des prix dans ces marchés également.

Cette « exportation de la cannibalisation » crée une situation où même les pays ayant une capacité solaire limitée voient leurs prix diurnes diminuer sous l’effet des importations massives d’électricité solaire. Par exemple, la Pologne et la République tchèque, malgré leur parc solaire relativement modeste, subissent l’influence des exportations allemandes.

Ce mécanisme est particulièrement visible aux frontières entre l’Allemagne et ses voisins, où les flux d’électricité s’inversent régulièrement en fonction de l’ensoleillement. Selon les données de marché, l’Allemagne est devenue exportatrice nette d’électricité pendant les heures de forte production solaire, alors qu’elle reste importatrice pendant les autres périodes.

Stratégies d’adaptation pour le secteur

Le rôle crucial du stockage

Face à cette situation, le développement des capacités de stockage d’énergie devient essentiel. Les batteries permettent de décaler la vente d’électricité des heures de faible prix vers les heures où les tarifs sont plus élevés.

Plusieurs projets d’envergure sont en cours de déploiement en Europe. L’Allemagne prévoit d’atteindre 16 GW de capacité de stockage d’ici 2030, tandis que la France a lancé un appel d’offres pour 1 GW de stockage sur la période 2023-2024.

Energie solaire européenne: le paradoxe des prix qui fragilise la filière

Évolution des modèles d’affaires

Les contrats d’achat d’électricité à long terme (PPA) évoluent également pour tenir compte de cette nouvelle réalité. Les acheteurs cherchent désormais à partager les risques de cannibalisation avec les producteurs, ce qui exerce une pression supplémentaire sur les prix proposés.

L’hybridation des installations, combinant solaire et stockage, ou solaire et éolien, devient une stratégie de plus en plus adoptée pour stabiliser les revenus. Ces installations mixtes permettent de lisser la production et de réduire l’exposition aux heures de prix bas.

Certains développeurs explorent également des marchés moins matures en Europe de l’Est, où la cannibalisation reste limitée en raison d’une pénétration plus faible des énergies renouvelables.

Adaptation des politiques publiques

Les politiques de soutien au solaire doivent également s’adapter à cette nouvelle réalité. Plusieurs pays européens évoluent vers des systèmes d’enchères à deux voies ou des contrats pour différence (CFD) qui protègent à la fois contre les prix trop bas et trop élevés.

La Commission européenne a reconnu l’importance de ce phénomène dans sa stratégie pour le développement des énergies renouvelables, soulignant la nécessité d’investissements massifs dans les réseaux et le stockage pour maintenir l’attractivité économique du solaire.

À retenir :

  • La cannibalisation solaire réduit la rentabilité des installations photovoltaïques en faisant baisser les prix de l’électricité pendant les heures de production
  • Ce phénomène s’étend désormais au-delà des frontières nationales, affectant même les pays à faible capacité solaire
  • L’Allemagne présente le taux de captation le plus bas (59%), contre 90% au Royaume-Uni
  • Le développement du stockage d’énergie et l’hybridation des installations constituent les principales stratégies d’adaptation
  • Les politiques de soutien au solaire évoluent vers des mécanismes qui protègent les producteurs contre cette cannibalisation