La France a enregistré un record historique d’écrêtement d’énergie renouvelable au premier semestre 2025, avec 2 TWh de production effacée du réseau, malgré une décarbonation avancée de son mix électrique. Ce gaspillage, en hausse de plus de 80 % par rapport à 2024, met en lumière un paradoxe : une abondance bas-carbone couplée à une consommation intérieure atone. Alors que le pays frôle les 95 % de production décarbonée, les limites du réseau soulignent l’urgence d’adapter les infrastructures à cette transition.
À retenir
- 2 TWh d’énergie renouvelable écrêtée au premier semestre 2025, record absolu.
- Production bas-carbone à 95 % du mix électrique en 2024 (536,5 TWh total).
- Consommation intérieure 6-7 % sous le niveau pré-Covid (446 TWh en 2023).
- Capacités solaires à 26 GW, éoliennes à 24,6 GW fin 2024.
- 363 heures de prix négatifs au S1 2025, contre 235 en 2024.
- Gouvernement amende contrats PPA pour parcs éoliens offshore en juin 2025.
Ce paradoxe énergétique révèle les tensions d’une transition réussie mais mal équilibrée : la France produit de plus en plus d’électricité bas-carbone, grâce au nucléaire et aux renouvelables, mais peine à l’écouler face à une demande intérieure stagnante. Cela importe aujourd’hui car, au milieu de la décennie décisive pour la neutralité carbone, ces pertes records de 2 TWh – équivalentes à la consommation annuelle de 400 000 foyers – freinent l’efficacité économique de la décarbonation. Pour les acteurs de la transition, des pouvoirs publics aux producteurs, l’enjeu est de valoriser cette énergie verte sans compromettre la stabilité du réseau, en misant sur la flexibilité et le stockage pour anticiper les besoins européens.
Le paradoxe d’une abondance bas-carbone mal écoulée
La France traverse une phase inédite où sa production électrique atteint des sommets de décarbonation, mais où les excédents se transforment en pertes massives.
Un bond historique des coupures volontaires
Au premier semestre 2025, les volumes d’écrêtement – ces coupures volontaires de production pour soulager le réseau – ont explosé de plus de 80 % par rapport à l’année précédente. RTE (Réseau de Transport d’Électricité) recense 2 TWh d’énergie effacée, principalement issue d’installations éoliennes et solaires. Ce chiffre marque le plus grand gaspillage enregistré à ce jour, malgré une production bas-carbone abondante.
En 2024, le mix électrique français a franchi un seuil historique : 95 % de l’électricité totale, soit 536,5 TWh, provient de sources décarbonées comme le nucléaire et les renouvelables. Les parcs renouvelables ont connu une croissance soutenue, avec le photovoltaïque en tête. Pourtant, cette surproduction n’a pas de débouché suffisant, forçant les opérateurs à arrêter les turbines ou les panneaux.
La faible consommation nationale face à la production maximale
La demande intérieure reste structurellement basse, à 6-7 % en dessous des niveaux pré-Covid. En 2023, elle s’établissait à 446 TWh, contre environ 515 TWh avant la crise sanitaire. Cette atonie persiste en 2025, créant un déséquilibre face à une offre qui culmine.
Les pics de production photovoltaïque et éolien coïncident avec des heures de faible consommation, typiquement midi en journées ensoleillées. Le réseau, conçu pour des flux centralisés du nucléaire et de l’hydraulique, peine à absorber cette intermittence décentralisée. Résultat : une énergie verte produite à grand coût est gaspillée, soulignant les limites d’un système pas encore adapté.

Les causes structurelles et leurs conséquences économiques
Derrière ces chiffres se dessine un enchevêtrement de facteurs techniques et réglementaires qui amplifient le problème, avec des répercussions directes sur les prix et les incitations.
La concomitance des pics de production solaire et de la baisse de la demande
Les journées printanières et estivales voient le photovoltaïque produire à plein régime entre 11h et 15h, heures creuses pour la consommation. Le pic de demande se déplace vers 18h-20h, avec l’allumage des lumières et appareils domestiques. Cette asynchronie, exacerbée par la croissance des capacités – 26 GW pour le solaire contre 24,6 GW pour l’éolien fin 2024 – sature le réseau.
En 2024, le solaire a ajouté un record de 5 GW, accélérant cette dynamique. Sans gestion fine, ces excédents deviennent ingérables, surtout quand l’intermittence des renouvelables rencontre une demande stable mais faible.
Les limites d’exportation vers les pays voisins
Les interconnexions européennes, censées fluidifier les échanges, atteignent leurs limites. L’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne connaissent aussi des épisodes de surproduction bas-carbone, saturant les lignes transfrontalières. La France, exportatrice nette historique, voit ses excédents bloqués.
Cette saturation géographique renforce l’écrêtement interne. RTE note que le réseau, avec ses infrastructures vieillissantes, peine à inverser les flux pour une production décentralisée. Un contrepoint loyal émerge ici : certains producteurs arguent que forcer plus d’exportations ignorerait les contraintes physiques des lignes, risquant des blackouts croisés plutôt que des solutions durables.
Plongeon des prix de gros et impact des anciens contrats
La surproduction tire les prix négatifs sur le marché spot : 363 heures au premier semestre 2025, soit 8 % du temps, contre 235 heures en 2024. Ces signaux découragent l’injection, incitant à l’écrêtement pour éviter des pertes financières.
Près de 29 GW d’installations ENR (énergies renouvelables), sur 51 GW total, relèvent encore de l’Obligation d’Achat, un régime subventionné obligeant l’injection quoi qu’il arrive. Cela accentue les prix négatifs, contrairement au Complément de Rémunération pour les plus récents, qui encourage l’ajustement. Le gouvernement a réagi en juin 2025 en amendant les PPA (Power Purchase Agreements) de trois parcs éoliens offshore : Fécamp, Saint-Nazaire d’EDF, et Saint-Brieuc d’Iberdrola.
« Ces amendements permettent de réduire ou d’arrêter totalement la production lors des périodes de prix négatifs. » Indique le gouvernement, après un test réussi les 10 et 11 mai 2025.
Les parcs onshore devraient suivre, pour aligner incitations et équilibre réseau.

Vers des solutions pour valoriser l’énergie verte
Face à ces défis, RTE et les autorités esquissent des pistes pragmatiques, centrées sur l’adaptabilité du système électrique.
L’urgence de la flexibilité et de la gestion de la demande
La flexibilité de la demande émerge comme clé : déplacer usages comme la recharge de véhicules électriques ou les chauffe-eau vers les heures solaires creuses. Cela consommerait les excédents au lieu de les effacer, optimisant le réseau.
Le modèle centralisé traditionnel, dominé par le nucléaire, cède la place à des flux inverses décentralisés. RTE insiste sur une gestion active pour atténuer l’intermittence, évitant ainsi des pertes qui minent la sobriété énergétique.
Le rôle pivot du stockage de l’énergie
Le stockage est essentiel pour réserver les surplus bas-carbone. La France dispose de seulement 1 GW de batteries installées en 2025, loin des 61 GW européens. Les STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage) complètent ce arsenal, avec une station expérimentale mise en service à Perquié (Landes) en 2024.
Dans son plan à 2050, RTE intègre massivement les batteries pour lisser production et consommation. Cette voie, combinée à la flexibilité, promet de transformer le paradoxe en atout durable pour l’Europe.










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