L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié en septembre 2025 son rapport Global Hydrogen Review, qui révise à la baisse de près de 25 % les prévisions mondiales de production d’hydrogène bas-carbone pour 2030. Passant de 49 millions de tonnes par an à 37 millions de tonnes, cette rétrogradation met en lumière les retards accumulés dans les projets d’électrolyse, qui représentent 80 % des baisses estimées. Malgré une croissance attendue, ces chiffres soulignent les défis persistants de la transition énergétique vers l’hydrogène vert.
À retenir
- L’AIE prévoit 37 Mt/an d’hydrogène bas-carbone en 2030, contre 49 Mt/an initialement.
- La production confirmée dépassera 4 Mt/an d’ici 2030, multipliée par cinq par rapport à 2024.
- La France abaisse ses objectifs à 4,5 GW d’électrolyseurs installés en 2030 et 8 GW en 2035.
- Les retards de projets sont dus à 44 % aux permis, 28 % aux défis économiques.
- La Chine domine avec 65 % de la capacité mondiale d’électrolyseurs en développement.
- États-Unis : annulation de 1,9 milliard d’euros de financements pour deux pôles d’hydrogène.
Au moment où la transition énergétique européenne s’accélère sous l’impulsion du plan France 2030, le rapport de l’AIE dresse un tableau plus nuancé de l’hydrogène vert. Cette révision des prévisions, publiée il y a un mois, intervient alors que les investissements dans les énergies renouvelables comme le photovoltaïque progressent, mais que les infrastructures pour l’hydrogène peinent à suivre. Pour les acteurs de l’industrie et les décideurs publics en France et en Europe, ces chiffres imposent une réflexion pragmatique : comment surmonter les freins économiques et réglementaires pour que l’hydrogène, pilier de la décarbonation, atteigne son potentiel dans les secteurs du raffinage et de l’industrie. L’enjeu est clair : sans soutien gouvernemental accru pour créer de la demande et développer les réseaux, la croissance prévue risque de rester limitée, freinant ainsi les efforts globaux contre les émissions de CO2.
Révision des prévisions mondiales par l’AIE
Le rapport Global Hydrogen Review de septembre 2025 marque un tournant dans les projections sur l’hydrogène bas-carbone. L’AIE, qui suit de près les dynamiques de la transition énergétique, a ajusté ses estimations à la lumière des avancées réelles des projets. Cette révision à la baisse de 25 % reflète non pas un abandon, mais une adaptation aux réalités du terrain, où les retards s’accumulent depuis 2024.
Chiffres de la rétrogradation mondiale
La production potentielle d’hydrogène bas-carbone pour 2030 tombe ainsi à 37 millions de tonnes par an, contre 49 millions initialement visés. Cette baisse touche à la fois les projets par électrolyse – alimentés par des énergies renouvelables – et ceux issus de combustibles fossiles avec captage et stockage du carbone. Les électrolyseurs, ces dispositifs qui décomposent l’eau en hydrogène et oxygène via électricité, absorbent 80 % de cette rétrogradation, soulignant leur vulnérabilité aux coûts élevés de l’énergie.
En 2024, la demande mondiale d’hydrogène atteignait déjà près de 100 millions de tonnes, majoritairement satisfaite par l’hydrogène gris, produit à partir de gaz naturel sans captage des émissions. L’hydrogène vert, issu de l’électrolyse avec sources renouvelables, ne représentait que 0,5 million de tonnes l’an dernier. Pour 2025, l’AIE estime cette production à 1 million de tonnes, soit moins de 1 % de la demande totale, concentrée sur des usages traditionnels comme le raffinage et l’industrie chimique.
Ces chiffres rappellent l’ordre de grandeur : la décennie en cours reste dominée par les énergies fossiles, malgré les ambitions de décarbonation. En Europe, où l’hydrogène est vu comme un levier pour réduire les émissions de CO2 dans les secteurs durs à électrifier, cette révision incite à une sobriété dans les attentes.

Potentiel confirmé à l’horizon 2030
Malgré les ajustements, l’AIE maintient une trajectoire de croissance significative pour les projets solides. Les initiatives opérationnelles, en construction ou ayant franchi la décision finale d’investissement – FID en anglais – devraient propulser la production à plus de 4 millions de tonnes par an d’ici 2030. Cela équivaut à une multiplication par cinq par rapport aux niveaux de 2024, un rythme qui, bien que ralenti, reste substantiel pour la transition énergétique.
Ce noyau dur repose sur des engagements fermes, souvent soutenus par des subventions comme les tax credits aux États-Unis. En France, le plan France 2030 intègre l’hydrogène dans ses priorités, mais les révisions nationales suivent la tendance mondiale : les objectifs d’électrolyseurs installés passent de 6,5 GW à 4,5 GW en 2030, et de 10 GW minimum à 8 GW maximum en 2035. Ces gigawatts mesurent la puissance totale des installations, essentielle pour scaler la production.
À l’échelle européenne, ces projections soulignent l’adaptabilité nécessaire : l’hydrogène vert pourrait ainsi contribuer à la durabilité des industries lourdes, comme la sidérurgie, sans promettre une panacée immédiate.
Rôle du soutien gouvernemental
Un volume additionnel de 6 millions de tonnes par an pourrait être débloqué d’ici 2030 avec une intervention accrue des États. Cela passe par la création de demande – via des contrats publics pour l’industrie – et le développement d’infrastructures, comme des pipelines dédiés ou des hubs de stockage. Sans cela, les projets risquent de stagner, limitant l’efficacité de la décarbonation.
Les politiques jouent ici un rôle pivot : en Europe, les directives sur les énergies renouvelables pourraient accélérer les connexions entre photovoltaïque et électrolyseurs. En France, les annonces du gouvernement sur France 2030 visent précisément à combler ces lacunes, en favorisant une croissance pragmatique plutôt qu’ambitieuse.
Les freins à l’essor de l’hydrogène vert
Derrière les chiffres globaux se cachent des histoires de projets contrariés, du continent asiatique à l’Europe industrielle. Les annulations récentes, comme celle d’ArcelorMittal à Dunkerque, illustrent comment les réalités économiques freinent la transition. Ces obstacles multiples, identifiés par l’AIE, exigent une analyse fine pour comprendre pourquoi l’hydrogène bas-carbone avance au ralenti.
Obstacles économiques et de compétitivité
Les difficultés financières émergent comme le second frein principal, cités dans 28 % des cas de retards ou d’annulations. Le coût de production de l’hydrogène vert reste élevé, autour de 3 à 5 euros par kilogramme selon les estimations récentes, contre moins de 2 euros pour l’hydrogène gris. La récente baisse des prix du gaz naturel accentue cette disparité, rendant les alternatives fossiles plus attractives à court terme.
Les coûts des électrolyseurs ont eux-mêmes augmenté de 20 % ces deux dernières années, en partie due à la demande croissante en métaux rares. Cependant, l’AIE prévoit une réduction de cet écart d’ici la fin de la décennie, grâce à l’apprentissage industriel et à l’optimisation des énergies renouvelables. À Dunkerque, ArcelorMittal a annulé son usine de réduction directe du fer – DRI en anglais – et son installation d’hydrogène, jugée non rentable face à la volatilité des marchés.
« Les conditions économiques actuelles ne permettent pas de rentabiliser l’investissement dans l’hydrogène vert à cette échelle. » explique un porte-parole d’ArcelorMittal dans un communiqué de septembre 2025.
Ces exemples concrets, en France, mettent en lumière l’enjeu économique pour l’Europe : sans mécanismes de subvention renforcés, la practicité de l’hydrogène reste compromise.
Incertitudes réglementaires et infrastructurelles
L’obtention de permis représente le premier obstacle, mentionné dans 44 % des retards, devant les défis techniques à 13 %. Les procédures administratives, souvent longues en Europe, bloquent les délais de mise en œuvre. Parallèlement, l’absence de clients – 8 % des cas – reflète un manque de demande structurée dans les secteurs comme le raffinage.
Les infrastructures manquent : sans réseaux de distribution adaptés, l’hydrogène vert peine à s’insérer dans les chaînes industrielles existantes. En France, les projets pilotes à Dunkerque ou Fos-sur-Mer illustrent ces défis, où les liaisons avec les ports et les usines sidérurgiques demeurent limitées. L’AIE insiste sur la nécessité de politiques stables pour lever ces barrières, évitant les revirements qui découragent les investisseurs.
Impacts de la géopolitique et annulations majeures
La géopolitique ajoute une couche d’instabilité : les tensions sur les chaînes d’approvisionnement en gaz naturel affectent la compétitivité. Aux États-Unis, le Département de l’Énergie a annulé un financement de 1,9 milliard d’euros pour deux pôles d’hydrogène sur la Côte Ouest, privilégiant l’hydrogène bleu – issu de gaz avec captage – qui pourrait dominer 90 % de la production décarbonée d’ici 2030. Cette orientation contraste avec l’Europe, plus focalisée sur le vert.
La Chine, quant à elle, consolide son leadership avec 65 % de la capacité mondiale d’électrolyseurs en développement et 60 % de la production globale. Ce poids historique de l’hydrogène gris en Asie – dominant depuis des décennies – freine la bascule mondiale, mais offre aussi des leçons en termes d’échelle. En contrepoint, ces dynamiques géopolitiques invitent l’Europe à une stratégie d’adaptabilité : miser sur des niches comme l’industrie locale plutôt que sur une concurrence frontale, tout en intégrant l’hydrogène bleu comme transition vers le vert pour accélérer la réduction des émissions.










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