Le transport maritime a économisé 60 milliards avec la sobriété énergétique

·

Eonergie > Industrie > Le transport maritime a économisé 60 milliards avec la sobriété énergétique
Le transport maritime a économisé 60 milliards avec la sobriété énergétique
Résumer cet article avec :

L’industrie du transport maritime, essentielle au commerce mondial avec 5% de la consommation pétrolière planétaire et 700 millions de tonnes d’émissions de CO₂ annuelles, se trouve à la croisée des chemins de sa transition énergétique. En 2023, consommant 4,2 millions de barils de pétrole quotidiennement, le secteur a pourtant réussi à contenir cette consommation malgré une augmentation de 50% de son activité depuis 2008.


Comment le transport maritime a déjà économisé 60 milliards de dollars de carburant

L’optimisation énergétique dans le transport maritime a permis des avancées significatives sur les quinze dernières années, malgré une augmentation considérable de l’activité.

Des progrès d’efficacité remarquables depuis 2008

Si l’activité du transport maritime international a augmenté de près de 50% depuis 2008, sa consommation d’énergie n’a crû que de 5% sur la même période. Cette performance s’explique par une réduction de l’intensité énergétique (carburant consommé par tonne de marchandise transportée sur une distance donnée) d’environ 30%. Le résultat est spectaculaire : 1,8 million de barils de pétrole économisés chaque jour en 2023, soit l’équivalent de 60 milliards de dollars épargnés.

La navigation lente : principal levier d’optimisation énergétique

Le « slow steaming » (navigation à vitesse réduite) représente à lui seul deux tiers des améliorations obtenues depuis 2008. Une réalité physique explique ce phénomène : réduire de moitié la vitesse d’un navire peut diviser sa consommation jusqu’à huit fois. Avec des vitesses moyennes diminuées de 10% depuis 2008, le secteur économise plus d’un million de barils quotidiens. Cette approche doit néanmoins équilibrer économies d’énergie et impératifs commerciaux.

L’impact de l’augmentation de la taille des navires

La taille moyenne des navires a augmenté de plus de 50% depuis 2008, permettant d’économiser 300 000 barils par jour grâce à une meilleure efficacité hydrodynamique (réduction de la surface de coque et de la résistance aux vagues par tonne transportée). Cette tendance reste néanmoins contrainte par les infrastructures portuaires et les canaux existants.

Le transport maritime a économisé 60 milliards avec la sobriété énergétique

Un potentiel d’économies d’énergie encore largement inexploité

Malgré les progrès réalisés, le secteur maritime pourrait substantiellement améliorer son efficacité énergétique grâce à des technologies matures mais sous-utilisées.

Des technologies efficaces mais rarement déployées

L’efficacité de la puissance moteur des nouveaux navires ne s’est améliorée que d’environ 4% en moyenne au cours des 15 dernières années. Selon DNV, de nombreuses technologies d’efficacité énergétique sont implémentées sur moins de 5% de la flotte mondiale actuelle. Cette situation est d’autant plus paradoxale que de multiples solutions existent : récupération de chaleur perdue, optimisation de la coque, lubrification à air, systèmes de propulsion assistée par le vent (comme les rotors Flettner ou les voiles cerf-volant), ou encore revêtements de coque avancés.

Un retour sur investissement économiquement viable

Un ensemble complet de technologies d’optimisation peut permettre jusqu’à 15% d’économies d’énergie sur un porte-conteneurs standard, représentant 2 à 5 millions de dollars d’économies annuelles. Le retour sur investissement pour ces améliorations est généralement inférieur à 5 ans aux prix actuels du pétrole. Des technologies additionnelles peuvent apporter 10% d’économies supplémentaires, avec une rentabilité assurée sur la durée de vie du navire même si le retour sur investissement dépasse parfois 5 ans.

Des optimisations opérationnelles complémentaires

Au-delà des modifications techniques, de nombreuses mesures opérationnelles permettent d’améliorer l’efficacité : optimisation des routes en fonction de la météo (weather routing), optimisation de l’assiette (trim), nettoyage régulier de la coque et de l’hélice, gestion intelligente de la vitesse et introduction des arrivées « juste-à-temps » dans les ports pour éviter le syndrome « naviguer vite puis attendre ».

Les obstacles freinant l’adoption massive des technologies d’efficacité

Malgré leur rentabilité avérée, plusieurs barrières limitent le déploiement à grande échelle des technologies d’efficacité énergétique dans le secteur maritime.

Le problème principal-agent : une divergence d’intérêts structurelle

La structure économique du secteur maritime crée un obstacle majeur : les propriétaires de navires, qui doivent financer les améliorations technologiques, ne sont généralement pas ceux qui paient le carburant (ce sont les affréteurs). Cette divergence d’intérêts, appelée problème « principal-agent » ou « incitations partagées » (split incentives), décourage l’investissement dans des technologies dont le retour financier bénéficiera à d’autres acteurs. Malgré l’émergence de configurations contractuelles innovantes pour partager les risques et bénéfices, leur adoption reste limitée.

L’incertitude sur les performances réelles

Une autre difficulté réside dans l’évaluation précise des gains pour un navire spécifique dans des conditions d’exploitation réelles. Le manque de données standardisées et vérifiées par des tiers indépendants crée une incertitude qui freine la prise de décision. Des avancées dans la mesure et la vérification des performances sont nécessaires pour lever cette barrière.

Le cadre réglementaire et ses effets indirects

Les instruments réglementaires actuels, qu’ils émanent de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) ou de l’Union Européenne (FuelEU Maritime, inclusion dans le système d’échange de quotas d’émission), peuvent parfois favoriser indirectement l’adoption de carburants alternatifs au détriment des technologies d’efficacité. La révision en cours des mesures de l’OMI pourrait atténuer ce problème en renforçant les incitations à l’efficacité énergétique.

Le transport maritime a économisé 60 milliards avec la sobriété énergétique

L’efficacité énergétique : pilier stratégique de la décarbonation maritime

L’amélioration de l’efficacité énergétique représente une opportunité immédiate et stratégique pour le secteur maritime face aux défis de la transition énergétique.

La complémentarité avec les carburants alternatifs

Se concentrer uniquement sur les carburants alternatifs bas carbone expose le secteur à des risques significatifs : pénuries d’approvisionnement, concurrence avec d’autres secteurs comme l’aviation, et coûts supérieurs aux carburants fossiles actuels. L’efficacité énergétique atténue ces risques en réduisant les volumes nécessaires de carburants alternatifs et en limitant l’exposition à la volatilité des prix.

Des bénéfices multiples au-delà de la réduction des émissions

L’efficacité énergétique offre un triple avantage : elle réduit les coûts opérationnels, diminue les émissions de CO₂ et atténue la dépendance aux fluctuations des marchés énergétiques. Contrairement aux carburants alternatifs qui nécessitent des infrastructures nouvelles, les technologies d’efficacité peuvent être déployées immédiatement, y compris sur la flotte existante via des modernisations (retrofits).

Vers des politiques ciblées pour accélérer la transition

Pour exploiter pleinement le potentiel de l’efficacité énergétique, des politiques spécifiques sont nécessaires pour surmonter les barrières de marché identifiées. Le contexte actuel, avec la révision des cadres réglementaires internationaux, représente une opportunité unique pour concevoir des mesures favorisant une industrie maritime plus efficace et plus résiliente face aux défis énergétiques.


À retenir

  • Le transport maritime a réussi à limiter sa consommation d’énergie à +5% depuis 2008 malgré une activité en hausse de 50%, économisant 60 milliards de dollars en 2023.
  • La navigation lente et l’augmentation de la taille des navires ont été les principaux leviers d’efficacité jusqu’à présent.
  • Les technologies d’efficacité énergétique actuelles permettraient jusqu’à 25% d’économies supplémentaires, mais restent déployées sur moins de 5% de la flotte mondiale.
  • Le problème principal-agent (propriétaires investissant dans des technologies dont les affréteurs récoltent les bénéfices) constitue le principal obstacle à l’adoption massive de ces technologies.
  • L’efficacité énergétique doit être considérée comme un pilier stratégique complémentaire aux carburants alternatifs pour une décarbonation économiquement viable du secteur maritime.