Alors que l’adoption des véhicules électriques (VE) progresse, l’infrastructure de recharge demeure un enjeu central. Si les chargeurs rapides captent souvent l’attention du grand public, la recharge lente, moins coûteuse et plus simple à déployer, pourrait bien jouer un rôle crucial dans la démocratisation des VE, en particulier dans les zones urbaines. Cette approche « low-tech » met en avant des solutions accessibles, économiques et plus faciles à intégrer dans le paysage urbain.
Pourquoi miser sur la recharge lente ?
À ce jour, l’accent a été mis sur le déploiement de chargeurs rapides (DC) capables de recharger un véhicule électrique en 20 à 30 minutes. Cependant, ces infrastructures sont coûteuses, complexes à installer et exercent une forte pression sur le réseau électrique. En revanche, la recharge lente, via des chargeurs de niveau 2 (AC) de 3 à 7 kW, présente de nombreux avantages. Elle nécessite moins d’investissement, sollicite moins le réseau et prolonge la durée de vie des batteries des VE. Cette approche pourrait être une solution pertinente, notamment dans les zones urbaines où l’accès aux bornes de recharge privées est limité.
Des bornes de recharge partout, tout le temps
Pour démocratiser l’usage des VE, il ne suffit pas d’installer des bornes de recharge sur les autoroutes. La majorité des trajets quotidiens se font sur de courtes distances, souvent à quelques kilomètres du domicile ou du lieu de travail. En installant des bornes de recharge lente sur les trottoirs, les parkings publics et les lieux de travail, on permettrait aux conducteurs de « faire le plein » progressivement au fil de la journée. L’idée est de transformer chaque rue et chaque parking en un potentiel point de recharge.
Des initiatives comme celle de Los Angeles, où les lampadaires sont transformés en points de recharge, montrent le potentiel de cette approche. En utilisant les infrastructures électriques existantes (comme les poteaux d’éclairage public), il est possible d’installer des bornes de recharge à moindre coût. Ce modèle est d’autant plus pertinent pour les villes européennes, où la densité urbaine est forte et les places de stationnement en voirie sont nombreuses.
Des coûts d’installation et d’exploitation réduits
Contrairement aux stations de charge rapide, les bornes de recharge lente nécessitent peu d’investissement. Selon la Society of Automotive Engineers, les chargeurs de niveau 2 coûtent bien moins cher à installer que les chargeurs rapides, qui peuvent coûter des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros par borne. De plus, l’utilisation d’infrastructures existantes, comme les lampadaires ou les bornes de stationnement, permet de réduire encore davantage les coûts de déploiement.
Cette stratégie est particulièrement intéressante pour les collectivités locales et les opérateurs de mobilité, car elle permet un déploiement rapide et à moindre coût des bornes de recharge. Les solutions de « câble à apporter soi-même », déjà adoptées dans certaines villes européennes, permettent de réduire l’usure des câbles et les coûts d’entretien. Le réseau de recharge peut ainsi se développer de manière organique et évolutive, en fonction des besoins réels des usagers.
Un modèle économique équitable et participatif
La recharge lente ouvre également la voie à des modèles économiques collaboratifs. En partageant les revenus générés par les bornes de recharge avec les propriétaires fonciers (par exemple, les écoles, les commerces, les lieux de culte, etc.), il devient possible de mobiliser des acteurs privés pour déployer des infrastructures de recharge. Ce modèle de « partage des revenus » permettrait de financer le réseau de recharge sans exiger de lourds investissements publics.
Ce système s’inscrit dans une logique de décentralisation du réseau de recharge. En permettant à des propriétaires de terrains ou de bâtiments de participer à la transition énergétique, on élargit le nombre de sites potentiels pour les bornes de recharge. Ce modèle est déjà en place dans certaines villes américaines, où les propriétaires de bâtiments peuvent installer des bornes et recevoir une part des revenus générés.
Une solution adaptée aux besoins des villes denses
Dans les villes denses, la majorité des conducteurs de VE n’ont pas de place de parking privée. Ces usagers dépendent donc des bornes de recharge publiques. Or, les bornes de recharge rapide sont coûteuses et peu adaptées à la recharge nocturne. En revanche, les bornes de recharge lente, déployées en masse dans les rues et les parkings collectifs, permettent de recharger le véhicule sur de longues périodes (pendant la nuit ou la journée de travail), ce qui est souvent suffisant pour les trajets quotidiens.
Certains experts suggèrent d’intégrer l’obligation d’installer des bornes de recharge dans les parkings des immeubles résidentiels et des bureaux, afin de répondre aux besoins des conducteurs urbains. Cette mesure est déjà en place dans certaines villes comme San Francisco, où 100 % des places de parking des nouvelles constructions doivent être « prêtes pour la recharge des VE ». En France, des réglementations similaires pourraient contribuer à rendre la possession d’un VE plus accessible, notamment pour les ménages en logement collectif.
Des bénéfices environnementaux et énergétiques
Outre les aspects économiques, la recharge lente présente des avantages écologiques. Contrairement aux chargeurs rapides, qui consomment d’importants pics d’énergie et exercent une forte pression sur le réseau électrique, les chargeurs lents répartissent la demande de manière plus homogène. Cette approche contribue à stabiliser le réseau électrique et à éviter les pics de consommation, réduisant ainsi le risque de surcharge.
De plus, la recharge lente est meilleure pour la santé des batteries des VE. Les cycles de charge rapide génèrent davantage de chaleur, ce qui accélère la dégradation de la batterie. À l’inverse, la recharge lente permet de préserver la durée de vie de la batterie, ce qui réduit le coût total de possession des véhicules électriques pour les consommateurs.
Un changement de paradigme pour la mobilité électrique
Alors que l’attention des décideurs publics et des entreprises se concentre sur le déploiement des chargeurs rapides, la recharge lente offre une alternative pragmatique, abordable et efficace. En investissant dans des solutions de recharge « low-tech », les villes peuvent accélérer l’adoption des véhicules électriques, réduire les coûts d’infrastructure et renforcer la confiance des consommateurs. Ce modèle pourrait également limiter la dépendance aux subventions publiques, en mobilisant des acteurs privés via des partenariats gagnant-gagnant.
La recharge lente ne remplacera pas la recharge rapide sur les grands axes routiers, mais elle jouera un rôle essentiel pour les trajets du quotidien. Ce modèle hybride — rapide pour les longs trajets et lent pour les trajets locaux — pourrait bien devenir la norme à l’avenir. Les villes qui s’engageront dans cette voie disposeront d’un avantage stratégique dans la course à la mobilité durable.