Les carburants d’aviation durables (SAF) sont au cœur des débats sur la décarbonisation du secteur aérien, l’un des principaux contributeurs aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pourtant, leur adoption reste limitée en raison de coûts élevés, de la rareté des matières premières et d’une immaturité technologique. Alors que des milliards sont investis pour surmonter ces défis, la question reste : les SAF peuvent-ils vraiment transformer le futur de l’aviation tout en respectant les impératifs environnementaux, économiques et sociaux ?
Qu’est-ce qu’un SAF et pourquoi est-il essentiel ?
Les SAF sont des carburants synthétiques ou biologiques qui reproduisent les propriétés du kérosène traditionnel, tout en offrant une réduction des émissions sur leur cycle de vie pouvant atteindre 80 %. Contrairement aux batteries ou à l’hydrogène, qui restent inadaptés aux vols long-courriers en raison de limitations technologiques, les SAF représentent une solution « prête à l’emploi » pour réduire les émissions sans modifier les infrastructures aéronautiques actuelles.
Les limites actuelles de la production
Actuellement, la majorité des SAF provient de déchets tels que les huiles de cuisson usagées et les graisses animales. Ces matières premières, bien que pratiques, ne pourraient satisfaire qu’environ 10 % de la demande mondiale de SAF d’ici 2050, selon le rapport de la Mission Possible Partnership de 2022. La production mondiale actuelle de SAF s’élève à environ 1 million de tonnes par an, un chiffre qui reste bien en deçà des besoins pour atteindre les objectifs climatiques.
Des avancées technologiques prometteuses
Les technologies de deuxième génération, comme le procédé Fischer-Tropsch, permettent de transformer des déchets biomasse ou du CO2 capturé en carburants synthétiques. Par exemple, Twelve, une entreprise américaine, utilise le CO2 capté des industries de l’éthanol ou de la pâte à papier pour produire des carburants. Avec un investissement récent de 645 millions de dollars, Twelve prévoit de produire 50 000 gallons de SAF par an dans son usine de Washington dès 2025. Cependant, ces procédés nécessitent encore des améliorations pour être économiquement viables et compétitifs à grande échelle.

Objectifs ambitieux, mais réalistes ?
L’Europe et les États-Unis se fixent des objectifs ambitieux pour l’intégration des SAF. L’Union européenne impose un mandat de 6 % de SAF dans les carburants d’aviation d’ici 2030, avec une augmentation progressive jusqu’à 70 % en 2050. Aux États-Unis, le gouvernement vise une production annuelle de 3 milliards de gallons de SAF d’ici 2030. Cependant, ces objectifs sont difficiles à atteindre avec une production actuelle qui ne représente que 0,2 % des besoins totaux en carburant d’aviation.
Le défi des coûts
Les SAF coûtent entre 4 et 8 dollars par gallon, soit jusqu’à 250 % à 800 % plus cher que le kérosène conventionnel, dont le prix moyen est d’environ 2 dollars par gallon. Cette disparité repose sur des processus énergivores comme l’électrolyse ou la synthèse Fischer-Tropsch, ainsi que sur la rareté des matières premières. Les crédits fiscaux, comme ceux prévus par l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, offrent jusqu’à 1,75 dollar par gallon, mais ces incitations expirent en 2027, ce qui freine les investissements à long terme.
Un cadre réglementaire en évolution
L’Union européenne prévoit des objectifs progressifs pour encourager l’utilisation des SAF, avec une obligation de 20 % en 2035 et 70 % en 2050. Aux États-Unis, le marché est soutenu par des incitations fédérales et des partenariats public-privé. Par exemple, des entreprises comme Alaska Airlines et Microsoft ont signé des contrats d’achat anticipé avec des producteurs de SAF pour couvrir le surcoût de ces carburants.

Des enjeux environnementaux et sociaux sous tension
L’adoption massive des SAF pourrait exacerber les conflits liés à l’utilisation des terres. Produire des SAF à partir de cultures énergétiques spécifiques ou de biomasse nécessite des surfaces agricoles importantes, ce qui pourrait concurrencer les cultures alimentaires. Par exemple, Pathway Energy prévoit une production annuelle de 30 millions de gallons de SAF à partir de biomasse forestière, mais cela soulève des préoccupations sur la durabilité de l’approvisionnement, notamment avec des fournisseurs comme Drax, critiqués pour l’exploitation de forêts anciennes.
Des alternatives controversées
Les solutions telles que l’utilisation de résidus agricoles ou de microalgues offrent des perspectives intéressantes, mais leur développement reste limité. Les microalgues, par exemple, captent efficacement le CO2 et produisent des lipides transformables en SAF, mais les coûts de production restent prohibitifs, oscillant entre 2,78 et 4,80 dollars par litre, soit bien au-dessus des autres options.
Une équité à préserver
Actuellement, les subventions pour les SAF reposent souvent sur des fonds publics ou des crédits carbone issus du secteur routier. Cela transfère le coût de la transition énergétique aux contribuables, tandis que le secteur aérien reste relativement peu taxé sur ses émissions. Une taxe carbone spécifique à l’aviation ou des mandats de mélange obligatoires pourraient aider à équilibrer cette équation.
Un avenir incertain, mais crucial
Selon le Rocky Mountain Institute, les SAF pourraient contribuer à 37 % des réductions d’émissions du secteur aérien d’ici 2050, tandis que les améliorations de l’efficacité énergétique représenteraient 45 %, et l’électrification des vols court-courriers 3,5 %. Cependant, atteindre ces objectifs nécessitera un investissement annuel de 170 milliards de dollars, soit un total de 4 500 milliards d’ici 2050.
La nécessité d’une action coordonnée
Pour surmonter ces défis, il est crucial de renforcer la coopération entre les gouvernements, les industriels et les citoyens. Cela inclut l’extension des incitations financières, la promotion des technologies avancées comme la capture directe du carbone et la diversification des matières premières. Par ailleurs, une réglementation mondiale harmonisée pourrait accélérer l’adoption des SAF et garantir leur durabilité.
En somme, les SAF représentent une opportunité clé pour décarboniser l’aviation, mais leur adoption nécessite des investissements massifs, des innovations technologiques et une réglementation proactive. Le défi est immense, mais il en va de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique.